« J’ai une réponse. Avez-vous une question ? » C’est ainsi qu’on pourrait résumer par l’absurde la consultation de la population sur l’avenir des espaces publics de Bourbonne-les-Bains que vient d’entreprendre la Région Grand Est, en partenariat avec la Com’com des Savoir-faire et la commune.

Alors que la population est actuellement invitée à indiquer ses souhaits d’aménagements durables dans les espaces publics de la commune, les décisions politiques qui devraient suivre semblent déjà prises officieusement.

Inviter des urbanistes en résidence à Bourbonne, co-créer avec les habitants un cadre de vie écologique conforme aux aspirations populaires… La démarche engagée dans le cadre du dispositif “Petites villes de demain” semblait prometteuse. D’autant que les cabinets d’urbanisme retenus dans le cadre du marché public ont de belles réalisations à leur actif.

En réponse à nos sollicitations, la Com’com des Savoir-faire nous avait même assuré l’an dernier que l’évènement donnerait aux citoyens toute l’occasion d’élaborer les contours d’une politique de cyclabilité et de partage de l’espace public, qui fait toujours cruellement défaut à Bourbonne-les-Bains. Rien n’est désormais moins sûr.

Un projet finalement circonscrit au ruisseau de Borne ?

Derrière cette promesse d’un grand moment de démocratie participative et de réflexion sur l’ensemble des espaces publics semble en réalité se cacher un projet très spécifique, d’ores et déjà ficelé dans les grandes lignes par les élus locaux : l’aménagement des abords du ruisseau de Borne et de son axe. 

Questionné par nos soins dès le premier jour de cette « consultation  », l’un des deux cabinets d’urbanisme missionné pour animer les échanges avec la population reconnaît en effet que « l’axe du ruisseau de Borne est pressenti comme unique lieu d’intervention ». 

« L’axe du ruisseau de Borne est pressenti comme unique lieu d’intervention » 

Un membre du cabinet d’urbanisme en résidence à Bourbonne-les-Bains

Les élus municipaux sauraient donc « sentir » la volonté populaire avant même qu’elle ne s’exprime ! Si tel est le cas, on s’interroge sur la nécessité d’organiser, à grand renfort de marchés publics, une consultation dont certains devins connaitraient déjà vaguement l’issue. 

Au terme de la consultation, les problématiques de deux voies parallèles au cours d’eau devraient ainsi être incluses dans le projet final des urbanistes. Mais seul l’axe du ruisseau de Borne devrait faire l’objet de préconisations d’aménagements conséquents, d’après les déclarations du cabinet. En somme, la réflexion globale sur les espaces publics du territoire communal annoncée en grande pompe pourrait discrètement passer à la trappe.

Les collectivités locales mettent la charrue avant les bœufs 

Autre problème des modalités de réalisation de cette consultation : les collectivités ont oublié de discuter de sa teneur avec le principal concerné, le Syndicat mixte des six rivières (SM6R). Lequel est chargé de la gestion des cours d’eaux et des milieux aquatiques dans l’ensemble du bassin versant et au-delà. (Il a notamment piloté la restauration écologique du Val-de-Presles.)

Contacté par SOS Pays de l’Apance, le SM6R indique qu’il a été informé de la consultation du public en cours mais qu’il ignore que celle-ci pourrait être subtilement orientée sur la requalification de l’axe du ruisseau de Borne.

Dans le détail, l’un des cabinets d’urbanisme nous explique quant à lui qu’il pourrait envisager de requérir la végétalisation de l’axe du ruisseau et la desimperméabilisation des sols – ce dont nous nous réjouissons. Mais aussi de réfléchir aux usages du cours d’eau et « pourquoi pas à de possibles zones d’expansion des crues ». Des opérations relevant potentiellement, pour ces dernières, de l’hydromorphologie. Et par conséquent de la compétence principale sinon exclusive du SM6R, qui bénéficie de moyens financiers dédiés, d’expertises scientifiques locales et d’une petite équipe d’écologues. 

De son côté, le SM6R a prévu de réaliser prochainement – à une date encore inconnue – d’intéressants travaux de restauration de la continuité écologique du ruisseau de Borne. Or, jusqu’à ce que nous lui en parlions hier, le cabinet d’urbanistes en résidence à Bourbonne n’avait été informé ni de l’existence du syndicat mixte, ni des projets imminents de ce dernier dans le même périmètre géographique que le sien… Et ce alors même que la Com’com, partenaire de la consultation des habitants de Bourbonne, finance le syndicat mixte et siège dans son conseil d’administration. Kafkaïen, non ?

Risque de cafouillage

A la demande du Conseil régional, le cabinet d’urbanisme envisage de mener des réunions publiques en juillet 2024 à Bourbonne-les-Bains. A moins d’un revirement salutaire, les débats qui se profilent pourraient sans doute servir à préfigurer la requalification des abords plus ou moins proches du ruisseau de Borne.

De tels débats, organisés sans information préalable sur les enjeux écologiques du cours d’eau et de ses abords, la loi sur l’eau ou encore les projets déjà en cours sur le ruisseau de Borne, nous sembleraient extrêmement périlleux. Ils seraient en effet susceptibles de créer une confusion dans l’esprit des citoyens quant à leur liberté de proposition, ex nihilo, sur l’aménagement d’un milieu naturel et ses alentours. Ils pourraient également téléscoper les travaux encadrés par le syndicat mixte, en l’absence de concertation préalable et transparente avec celui-ci.

Nous demandons donc l’ajournement de ces réunions publiques tant que n’auront pas été pris en compte, dès le stade préparatoire du projet (qui a bien débuté), son volet environnemental ainsi que l’antériorité des projets du SM6R à Bourbonne-les-Bains.

Nous voulons une vraie consultation !

Mais surtout, nous souhaitons qu’ait lieu la consultation telle qu’elle était annoncée. Tous les sujets liés à la thématique des espaces publics bourbonnais doivent pouvoir être évoqués librement et surtout pris en compte, sans ingérence des collectivités.

La réduction manifeste du champs de la consultation citoyenne, décidée à l’insu de la population, pourrait de fait empêcher toute forme de contributions utiles sur de nombreux sujets méritant réflexion dans la commune. A commencer par la place des mobilités douces, l’absence criante d’aménagements cyclables obligatoires lors des rénovations de voirie, véritable point noir de la commune, ou encore le manque de partage de l’espace public, notamment dans la rue centrale. Autant de problématiques dont le CEREMA a constaté l’insuffisante prise en compte par les pouvoirs publics lors de sa venue à Bourbonne en 2022.

Le CEREMA constatait en effet à Bourbonne, comme dans les deux autres bourgs-centres visités (Chalindrey et Fayl-Billot) la persistance « d’espaces publics peu qualitatifs », d’une « logique du tout voiture » et d’une « inadéquation des capacités d’accueil touristiques ». Des sujets qui concernent au premier chef les habitants et qui ont vocation à être débattus dans le cadre de cette consultation… à supposer que les collectivités facilitent l’expression citoyenne, tel qu’elles sont tenues de le faire lors des projets d’aménagement du territoire.

En aucun cas, cette consultation citoyenne ne doit devenir un moyen d’éluder de nombreuses problématiques liées au cadre de vie, quel que soit l’intérêt que représenterait certainement un aménagement raisonné des abords du ruisseau de Borne.