À quelques mois de la fin de leur mandat, trop d’élus locaux continuent d’expliquer à notre association et à nos partenaires, avec une constance remarquable, que s’ils n’ont (presque) rien fait pour la nature et le cadre de vie, ce n’est pas leur faute. C’est la faute de ceux d’avant. C’est la faute d’un contexte devenu soudainement insurmontable. C’est la faute d’une situation dont ils découvrent, un peu tard, les obstacles qu’ils feignent d’ignorer pendant des années. À croire qu’administrer consiste avant tout à perfectionner l’art de trouver de bonnes raisons pour ne rien changer.
Il est devenu presque banal de les entendre justifier leur inertie par des arguments désormais interchangeables. Ils n’ont pas eu le temps. Ils n’avaient pas les moyens. Ils « subissent » la dématérialisation de la vie publique, pourtant engagée depuis plus de trente ans et censée, précisément, leur simplifier la tâche. Mieux encore : leur secrétaire de mairie n’est « pas suffisamment présente », comme si cela les autorisait à rester quasiment immobiles. Ils se plaignent d’un héritage trop lourd, mais n’expliquent jamais pourquoi, connaissant ces difficultés réelles ou supposées, ils ont malgré tout choisi de briguer un mandat, en toute connaissance de cause, pour en percevoir les avantages. Ce serait risible si ce n’était pas aussi préoccupant.
Il faut l’avoir entendu, ce maire, nous déclarer avec une franchise désarmante — et une maladresse qui ne l’est pas moins — qu’il ne souhaitait « surtout pas » le devenir. Comprendre : qu’il ne comptait pas vraiment se rendre disponible pour répondre aux attentes de ses concitoyens. L’aveu aurait presque touché, s’il n’émanait pas d’un homme qui, quelques mois plus tôt, avait fait activement campagne, et qui, depuis, s’agrippe à son siège. À l’image aussi de cet autre édile, lors d’un récent conseil municipal, qui en vint à espérer publiquement « qu’il n’y ait pas de fuites en 2026 » sur le réseau d’eau déjà effondré de sa commune, dont le rendement avoisine les 50 %, en l’absence de schéma directeur et de vision d’ensemble. Ou encore ce troisième, emporté par une forme de colère grossière, qui n’a pas hésité à invectiver longuement les agents de la DDT lors d’une réunion publique du SM6R — coupables à ses yeux d’avoir sanctionné, à juste titre, une intervention illégale de la commune sur un cours d’eau.

Ces scènes, aussi édifiantes soient-elles, ne relèvent pas seulement de maladresses individuelles. Elles révèlent un problème plus profond : un désintérêt persistant pour les règles et les responsabilités en matière d’environnement et la protection des intérêts collectifs qui les motivent. En Haute-Marne, ce déficit de culture écologique et démocratique prend un relief particulier. Il souligne combien certains élus refusent d’endosser les obligations qu’ils ont pourtant volontairement embrassées.
À force d’entendre ressassés les mêmes pretextes dilatoires, on en vient à se demander si ce n’est pas devenu un mode de gestion en soi : ne rien faire, puis accuser les autres. Ne rien préparer, puis blâmer les circonstances. Ne rien tenter, puis se lamenter que rien n’ait bougé. Le plus navrant est qu’ils semblent y croire sincèrement. Ils se transportent jusqu’aux réunions publiques où, dans une sorte de chœur plaintif, ils répètent aux autres qu’il n’y avait, décidément, rien à faire.
Mais cela n’est pas tout. Dans certains cas plus graves, certains maires semblent même persuadés que l’obtention du pouvoir de police leur confère un droit de veto permanent sur toute demande, sur tout projet, et que ce pouvoir peut être utilisé pour ne pas accomplir ce qui devrait l’être. Consciemment ou non, leur mandat est envisagé comme une force d’entrave ou d’englument. Ils s’étonnent ensuite de découvrir que des citoyens, des associations, et parfois même la justice, peuvent leur imposer d’agir, y compris contre leur volonté, qu’elle soit affichée ou implicite. Et parfois, les faire sanctionner. Alors découvrent-ils, souvent trop tard, que l’autorité n’exonère pas de responsabilité et qu’un mandat ne les protège pas de leurs propres carences. L’affaire Jean-Marie Thiébaut, audiencée au 18 juin 2025 à la Cour d’appel de Dijon, pourrait relancer ce débat. Mais malheureusement, il y en aura d’autres.
Il faudrait leur redire que la protection de l’environnement n’est pas une option. Ce n’est pas un supplément de programme pour les jours où tout va bien. Ce n’est pas un slogan de campagne qui « n’engage que ceux qui y croient », destiné à être oublié une fois l’écharpe tricolore passée et les premières cérémonies patriotiques achevées autour d’un vin d’honneur. C’est un principe démocratique qui exige d’agir ici et maintenant, sans attendre l’excuse commode d’une petite difficulté administrative ou de la réaction épidermique de quelques électeurs poujados.
Nos sollicitations, bien qu’ancrées dans le droit et portées par le bon sens, n’obtiennent que rarement un écho immédiat. Trop souvent, elles sombrent dans un silence méprisant ou une indifférence stratégique. Il faut, pour espérer une réaction, rappeler moult fois la loi, citer les jurisprudences, insister, et souvent même aller jusqu’à engager un contentieux. Ce n’est qu’à ce prix, sous la menace explicite d’une procédure ou au fil d’un recours déjà enclenché, que des avancées concrètes voient le jour. Oui, nous obtenons des résultats. Oui, des sites sont réhabilités, des décisions corrigées, des projets amendés. Mais cette inertie résistante, presque revendiquée, trahit un rapport tordu à la légalité. Comme si l’action environnementale n’était tolérée que sous contrainte, jamais assumée de bon gré.
Prévoir quelques aménagements cyclables, pourtant légalement requis ? Il nous est rétorqué, avec un sourire condescendant, que “la commune ne deviendra pas la rue de Rivoli”. Demander l’évacuation de déchets dangereux polluant un périmètre de captage d’eau potable ? Un conseil municipal oppose une exclamation outrée : “Et puis quoi encore !” Accompagner, à coup nul pour la commune, la renaturation d’un site naturel dégradé par un contrevenant notoire ? C’est aussitôt brandi le prétexte sacro-saint du “droit de propriété”. À chaque fois, le même réflexe : esquiver, végéter politiquement, refuser d’assumer que, sur certains sujets fondamentaux tels que la protection de la nature et du cadre de vie, la loi commande, et l’intérêt général doit primer sur les égoïsmes privés.
Et toujours cette même crispation dès qu’il est question de changement, fût-il minime, de réforme, d’adaptation nécessaire. “Une loi tombe toutes les semaines !” aime à répéter un maire du coin, comme s’il récitait un mantra ou dénonçait une injustice intolérable. Non mais allô, Monsieur le Maire : cela s’appelle la République. Cela s’appelle l’État de droit, où la règle commune évolue pour répondre aux défis du présent, et où les élus, loin de s’y soustraire, ont le devoir de la faire vivre.
Alors oui, nous sommes « impatients ». Oui, nous sommes « exigeants ». Mais nous ne demandons à ce jour que le minimum légal. De plus en plus nombreuses et nombreux, nous ne nous satisfaisons pas d’entendre des promesses s’éteindre dans l’indifférence pendant que les mêmes discours d’impuissance politique organisée tournent en boucle comme un vieux disque usé. Nous nous ne résoudrons pas à être spectateurs silencieux de cette institutionnalisation de la flemme et du déni.
Il ne s’agit pas ici de mettre tous les maires dans le même sac, ni de jeter l’opprobre sur une fonction qui, bien exercée, peut être précieuse pour les habitants comme pour les territoires. Nous avons croisé des élus qui donnent une autre image du mandat local. À Fresnes-sur-Apance, par exemple, comme dans quelques autres communes du département, certains maires prennent leurs responsabilités, écoutent, consultent attentivement les agents publics, prennent le temps de comprendre avant de décider. Ils montrent qu’il est possible d’agir avec sérieux et simplicité, sans grands moyens mais avec de la volonté. Ce sont eux qui nous font nuancer notre jugement. Il n’en reste pas moins qu’en Haute-Marne, beaucoup d’élus manquent encore de formation, ou parfois tout simplement du réflexe de s’en saisir. Or ces formations existent. Elles sont accessibles, souvent gratuites, et peuvent aider à sortir d’une solitude ou d’un immobilisme que personne n’impose. C’est surtout cela, qui doit guider l’action publique : savoir que l’on doit constamment apprendre, progresser, et s’ouvrir. Celles et ceux qui s’arc-boutent contre ce principe doivent à présent céder leur place.
C’est pourquoi, dans les semaines à venir, nous allons lancer une évaluation précise des bilans environnementaux des équipes sortantes. Ce travail documenté sera rendu public, dans une vidéo largement diffusée, avant la date du prochain scrutin.
Parallèlement, nous ouvrirons un dialogue avec les équipes candidates, pour examiner sérieusement leurs propositions et leur degré d’engagement réel. Que les successeurs putatifs, candidat(e)s du territoire, se manifestent dès à présent : nous serons là pour les écouter et relayer leurs projets !
A.R.