Le PETR du Pays de Langres dérape de nouveau. Après avoir conduit ses projets d’aménagement du territoire sans intégrer pleinement les exigences environnementales qui se profilaient, l’établissement public s’est signalé hier par un refus aussi bruyant qu’inutile — celui de « s’opposer » à l’adoption du SRADDET de la Région Grand Est, pourtant annoncé, débattu et rendu nécessaire par les exigences même du climat et du droit.
Le SRADDET ? Un document qui fixe les grandes orientations d’aménagement du territoire, notamment pour limiter l’étalement urbain. Encadré par les lois NoTRE et Climat et Résilience, ce document central impose aux projets locaux de réduire drastiquement la consommation d’espaces naturels. Dans le cas du Pays de Langres (dont la Com’com des Savoir-faire et plus spécifiquement la vallée de l’Apance font partie) cela signifie évidemment moins de lotissements, moins de zones commerciales, et donc une remise en cause de son « modèle » d’aménagement.
Le Journal de la Haute-Marne (JHM) a aussitôt relayé cette colère politique : “SRADDET: le Pays de Langres se rebiffe” (30 avril 2025).
Or, ce que le JHM omet de rappeler à ce sujet, dans son habituelle mansuétude, c’est que ce refus des édiles est sans effet juridique bloquant : qu’ils s’étranglent ou qu’ils trépignent, le SRADDET, lui, doit continuer son chemin, car nul n’a jamais donné aux PETR le pouvoir de censurer les décisions écologiques régionales d’utilité publique. Le SRADDET est adopté par le Conseil régional ; il s’impose, point. Et les projets haut-marnais devront être ajustés en conséquence. Le reste n’est que théâtre, simagrées et moulinets dans le vide.
Mais il serait injuste de balayer d’un revers de main les raisons de cette fronde de nos élus d’envergure locale, tant elles illustrent à merveille une logique politique malheureusement persistante en Haute-Marne : celle du manque d’ambition écologique et du raisonnement à rebours.
« On travaille à l’envers »… mais qui donc, vraiment ?
Les élus du Pays de Langres dénoncent aujourd’hui l’injustice, la surprise, la brutalité du cadre régional qui leur serait « tombé dessus » avec le SRADDET Grand Est. Ils expliquent avoir mené à bien, non sans effort, la rédaction de leurs PLUi et de leur SCoT, pour se voir ensuite contraints par un document régional plus exigeant, voire – à les entendre – franchement hostile. Et de s’exclamer en chœur : « On travaille à l’envers ! »
Mais la vérité, plus cruelle encore, est qu’ils ont effectivement travaillé à l’envers – non parce que le SRADDET les aurait trahis, mais parce qu’ils ont choisi de ne pas en anticiper tous les effets possibles, et de ne pas avoir adopté une vision climatique suffisament anticipatrice.
Car enfin : comment justifier d’avoir finalisé un PLUi sans intégrer toutes les grandes orientations régionales, alors même que le SRADDET était en cours de construction depuis 2019, largement débattu et consulté ? Pourquoi graver dans le marbre un projet local en décalage manifeste avec les futurs objectifs de sobriété foncière, de transition écologique et de cohérence territoriale ? Qui a pris la décision de boucler un PLUi en pariant contre la hiérarchie des normes ? Ce n’est pas la Région qui les a pris de court : c’est bien le PETR qui a choisi de faire l’économie d’une vision à long terme, au risque de se retrouver contraint de revoir sa copie à peine adoptée.
Ceux-là mêmes qui ont cru pouvoir devancer le SRADDET en refusant de s’y arrimer totalement dès sa phase préparatoire et dans son scénario le plus exigeant, réclament aujourd’hui que celui-ci respecte leurs choix locaux… Mais c’est précisément cela, travailler à l’envers : ne pas prendre suffisament en compte le cadre supérieur, puis se plaindre qu’il ne s’incline pas devant vos décisions !
Faux procès et vraies incohérences
Qu’on ne s’y trompe pas : l’article 16 du SRADDET, celui qui fixe la consommation d’espaces naturels à 141 hectares sur 10 ans, est sans doute relativement perturbant, mais il est parfaitement fondé. Il s’inscrit dans la trajectoire nationale de zéro artificialisation nette (ZAN) d’ici 2050, une exigence non de confort, mais de survie climatique et environnementale.
Mais que lui reprochent les élus locaux, au juste ?
D’abord, que la fameuse marge de 20 % de consommation foncière ne leur soit pas accordée. À les entendre, cette exclusion serait d’autant plus choquante qu’ils se présentent comme des modèles de vertu environnementale, citant volontiers — sans qu’on puisse toujours vérifier l’exactitude de leurs propos — les compliments supposément adressés par le président de Région lui-même.
Ce discours pourrait prêter à sourire… s’il ne révélait une certaine amnésie sélective. Car il serait pour le moins audacieux d’ignorer la dégradation d’une zone humide d’intérêt sur le site du Breuil (Val-de-Meuse), pour laquelle le PETR du Pays de Langres a récemment fait l’objet de mesures alternatives aux poursuites pénales. Dans ces conditions, que la Région refuse une dérogation à un territoire dont les engagements écologiques ont déjà été pris sévèrement en défaut relève non pas de l’arbitraire, mais d’une précaution minimale et légitime.
Ensuite, vient le grief de ne pas voir le Parc national spécifiquement mentionné dans le SRADDET. Il s’agit là, reconnaissons-le, d’un oubli regrettable dans la forme, mais sans réelle conséquence normative, dès lors que les documents locaux restent tenus, en toute hypothèse, de se conformer au cadre général applicable à leur territoire.
Au fond, ce qu’ils contestent, ce n’est pas tant le contenu du SRADDET que sa prétention à encadrer — et parfois freiner — une logique d’expansion foncière encore vivace. Le SRADDET serait trop écologique, là où ils aspirent à poursuivre le grignotage progressif des terres naturelles, à leur rythme, avec moins d’entraves et surtout moins d’arbitrage supérieur.
Et pendant ce temps, faut-il vraiment le rappeler, la Communauté de communes du Grand Langres, dont plusieurs élus siègent également au PETR, n’a toujours pas adopté de Plan Climat Air Énergie Territorial (PCAET), malgré l’obligation légale formelle qui s’impose à elle depuis plusieurs années. Cette carence qui dure depuis le 31 décembre 2018 place aujourd’hui le Grand Langres parmi les toutes dernières intercommunalités de France soumises à cette obligation à ne pas l’avoir respectée, ce qui, en soi, devrait suffire à tempérer toute revendication de surconformité environnementale. L’écologie y est peut-être invoquée, mais rarement traduite en actes. Demain, ou après-demain. Ou plus probablement jamais.
Devant ce constat, la pirouette finale s’imposait : reporter le vote, envoyer une lettre au président du Conseil régional du Grand Est, demander encore quelques explications supplémentaires, gagner du temps. Bref : refuser d’assumer une position claire et une politique responsable.
On préfère donc l’attente, pendant que les hectares de sites naturels continuent, lentement mais sûrement, d’être bitumés.
Quand l’ignorance se fait article : l’erreur de Nicolas Corté
Dans l’article publié ce mercredi 30 avril par Nicolas Corté dans le JHM, le lecteur attentif bute sur une incongruité d’autant plus spectaculaire qu’elle est livrée sans précaution : l’affirmation selon laquelle les enjeux climatiques seraient “peu pertinents” dans les documents d’urbanisme.

Aucune précaution oratoire, aucune attribution à un édile courroucé : l’idée est déroulée brute, dans le corps du texte journalistique, sans guillemets ni mise à distance critique.
En pareille matière, la règle d’interprétation est constante : ce qui n’est pas explicitement rapporté à autrui engage l’auteur.
Que faut-il en déduire ? Que cette énormité n’est peut-être pas la simple transcription fidèle d’un propos impulsif d’élu local, mais bien davantage le positionnement idéologique du journaliste et, à travers lui, probablement celui de son journal.
Problème, il ne s’agit pas là d’une simple imprécision ou d’une nuance malheureuse, mais d’une contrevérité caractérisée. Autrement dit : une fake news.
Et pour cause, le lien entre urbanisme et climat n’est pas une opinion discutable. C’est un fait juridique, scientifique et politique établi.
En effet, la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 impose aux documents d’urbanisme l’intégration explicite des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols. Le ministère de la Transition écologique rappelle lui aussi que l’étalement urbain aggrave les émissions de gaz à effet de serre et réduit les capacités naturelles d’adaptation. Le Cerema, quant à lui, référence publique sur l’aménagement durable, alerte de longue date sur les effets dévastateurs de l’imperméabilisation du sol sur le climat, la biodiversité et le cycle de l’eau.
L’artificialisation, corollaire direct d’un urbanisme mal maîtrisé, altère irrémédiablement les fonctions biologiques, hydriques et climatiques des sols. Traduction : l’urbanisme qui favorise l’imperméabilisation multiplie les risques d’inondations, réduit la biodiversité, compromet le stockage du carbone, et accélère ainsi le changement climatique.
C’est pourquoi les PLU et leurs équivalents sont désormais légalement tenus d’intégrer les enjeux de sobriété foncière et de transition écologique — même si, hélas, cette obligation reste encore trop souvent ignorée, au détriment des capacités d’adaptation de nos territoires.
M. Corté ne signe donc pas ici une information. Il signe le naufrage intellectuel du journal. Quand la planète brûle, il n’est plus temps de confondre un lotissement et une forêt.
A.R.
Le PETR s’indigne du SRADDET et l’écrit au président de Région.
Nous aussi, nous avons écrit au président… mais notre sujet d’indignation s’appelle le PETR.
Photographie : Dominique Thiébaud, Laurent Aubertot et Jacky Maugras (de gauche à droite), membres du PETR du Pays de Langres – photomontage.