L’ancien maire de Fresnes-sur-Apance Jean-Marie Thiébaut devra comparaître au tribunal correctionnel de Dijon le 11 avril 2024 pour d’importantes atteintes à l’environnement, qu’il aurait commises au cours de son dernier mandat, entre 2019 et 2021. Il encourt une peine pouvant aller jusqu’à 2 ans de pjerison et 75 000 euros d’amende, sans compter d’éventuels dommages-intérêts.

L’édile est accusé d’avoir exploité sans autorisation trois installations d’élimination de déchets dangereux, dont de l’amiante, sur le site de l’ancienne carrière communale et aux abords de celle-ci. Jamais déblayés (selon les constatations des agents de l’Etat), les reliquats de l’une de ces décharges clandestines située sur le périmètre de protection rapprochée du captage de Fresnes-sur-Apance, sont suceptibles de menacer aujourd’hui encore la qualité de l’eau distribuée à la population.

M. Thiébaut aurait notamment fait enfouir dans sa commune près de 500 m³ de déchets en violation des arrêtés préfectoraux qui lui demandaient de les faire évacuer urgemment dans des filières de traitement des déchets. Il aurait également ignoré obstinément certaines demandes de mise en conformité de plusieurs terrains publics, alors que l’Etat lui demandait de prendre des mesures suffisantes pour les protéger des dépôts sauvages.

Sa mise en examen fait suite à une enquête menée par le pôle judiciaire régional spécialisé en matière d’atteintes à l’environnement et par les agents de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL).

Lors du conseil municipal qui s’est tenu hier mercredi 31 janvier, la maire de la commune Nathalie Blanc a annoncé ce nouveau rebondissement judiciaire. Deux élus ont voté pour la constitution de partie civile de la commune contre M. Thiébaut et cinq ont préféré ne pas exprimer leur suffrage.

Mireille Larue, conseillère municipale faisant partie des abstentionnistes, peine manifestement à comprendre le sens des poursuites pénales : “Quand tout le monde s’entend, dit-elle au conseil municipal, il n’y a pas besoin de mettre des points sur les i. […] A Fresnes, on vivait comme ça. Vous, Madame le maire, vous n’êtes pas de Fresnes. […] Nous, on a toujours déposé des déchets là où les gens les mettaient, sans se poser de questions”. Et d’ajouter que “l’amiante dans le sol n’est pas un problème”…

A l’issue du conseil municipal, un autre élu nous indiquera que la mise en examen de M. Thiébaut ne serait rien de moins que “le fruit d’un complot”. Preuve, s’il en fallait encore, qu’un long chemin reste à parcourir pour qu’intervienne une véritable prise en compte des enjeux de protection de la santé publique et de l’environnement.

Le procès tant attendu aura lieu

La commune sera présente au tribunal correctionnel en tant que victime pour demander son indemnisation du préjudice subi. La maire de Fresnes-sur-Apance est en effet contrainte de prévoir des dépenses importantes dans le cadre de l’épineux dossier dont elle a hérité : prélèvements et analyses en laboratoire des déchets enfouis, éventuelle dépollution du site, et liquidation des astreintes de l’Etat pour le non respect manifeste – ou parfois le respect tardif -, par son prédécesseur, des arrêtés préfectoraux portant sur la remise en état des décharges. Ces dernières s’élèvent déjà à plus de 18 000 euros et l’une d’entre elles (de 100 euros par jour) court toujours.

SOS Pays de l’Apance va également se constituer partie civile dans cette affaire. Car celle-ci est particulièrement emblématique du sentiment d’impunité totale qui règne encore trop souvent dans le Bassigny quant aux atteintes à l’environnement.

Un maire-pollueur qui n’en faisait qu’à sa tête ?

Les rapports de la DREAL que nous divulguons aujourd’hui sont accablants pour l’ancien premier magistrat de Fresnes-sur-Apance. Les agents de l’État y affirment que leurs constats “témoignent d’une volonté intentionnelle et revendiquée du maire de la commune de ne pas respecter la réglementation”.

Un petit rappel des faits et de leur chronologie s’impose.

En 2019, la DREAL de la Haute-Marne est alertée par un habitant de la commune de la création d’une décharge sauvage géante sur le site de l’ancienne carrière, exploitée jusqu’en 2017 par la société Bongarzone pour de l’extraction de roches massives.

Sur place, les agents de la DREAL relèvent la présence de deux installations d’élimination des déchets non déclarées. Et par conséquent illégales. La première : une décharge sauvage par verses utilisée par des entreprises de travaux et des particuliers. Les services de l’Etat déplorent alors qu’aucune mesure ne soit prise par la commune pour empêcher ces dépôts.

La seconde : une fosse de brûlage creusée par un engin de chantier, au droit de la décharge. Celle-ci contient des résidus de déchets en plastique et de déchets verts.

Interrogé par les services de l’État, le maire Jean-Marie Thiébaut reconnaît le brûlage régulier de déchets issus des opérations d’entretien des espaces verts de la commune, et déclare en toute décontraction ne pas vouloir changer de pratiques. Pourquoi s’encombrer de la loi quand on est censé la faire respecter ?

Les inspecteurs constatent également une aire de brûlage d’ampoules susceptibles de contenir du mercure. Mais le maire décline alors toute responsabilité à ce sujet, prétendant qu’il s’agit certainement d’intrusions.

Extraits du premier rapport d’inspection de la DREAL
(disponible intégralement en bas de page)

S’ensuivent deux mises en demeure du Préfet en date du 3 octobre 2019 demandant au maire de régulariser sous trois mois les deux sites, soit en faisant évacuer les déchets, soit en demandant à l’Etat une autorisation d’exploiter les lieux comme décharge. Jean-Marie Thiébaut ne daignera pas y répondre.

Le 30 Juillet 2020, la DREAL revient. Pour constater malheureusement que le maire n’a respecté aucune des obligations mentionnées dans les arrêtés préfectoraux.

Quand la Com’Com des Savoir-faire ne surveillait guère la destination de ses déchets

Les agents trouvent alors la clôture de l’ancienne carrière ouverte. Et de nouveaux dépôts de verses de déchets qui n’étaient pas présents en 2019. Sur une superficie de 100 m2 et 4 m de hauteur, des déchets – pour certains dangereux – s’amoncellent à ciel ouvert : tuyaux, fibrociment amianté, décorations de cimetière, équipements électroniques ou électriques brûlés.

Et, surprise… les fonctionnaires de la DREAL tombent nez-à-nez avec un camion d’une grosse entreprise de BTP chaumontaise transportant des déchets de terrassement issus d’un chantier de la Communauté de communes des Savoir-faire (CCSF) à Pouilly-en-Bassigny. Interrogé par les agents, le conducteur prétend qu’il vient les déverser “avec l’accord du maire de Fresnes-sur-Apance”.

Extraits du deuxième rapport d’inspection de la DREAL
(disponible intégralement en bas de page)

Contacté par l’inspection, la gestionnaire du chantier mandaté par la CCSF indique que les travaux dont proviennent les déchets ont été confiés à la société Bongarzone [ancienne exploitante de la carrière], qui les a en partie sous-traités à l’entreprise Martel.

Le maire de Fresnes-sur-Apance aurait dit à la société Martel qu’il était autorisé à recevoir ces stockages de déchets sur le site de l’ancienne carrière. Mais à aucun moment, la société n’a demandé des bons d’envoi des déchets, obligatoires en pareille situation.

“M. Martel, en qualité de détenteur intermédiaire des déchets, aurait dû vérifier que celle-ci disposait d’un enregistrement, d’autant que cette vérification peut être effectuée sur la base internet publique des installations classées” note la DREAL.

Technique de l’autruche

Le 18 février 2021, la DREAL réalise une troisième inspection. Et constate que le maire a enfin fait procéder au retrait des résidus de la zone de brûlage et à leur évacuation en déchèterie, répondant en tout point à l’arrêté préfectoral du 29 Septembre 2020.

Mais la décharge géante du second terrain, quant à elle, est plus préoccupante que jamais : le maire a retiré les déchets présents en surface et a manifestement enterré le reste, alors que le préfet lui demandait d’en faire éliminer l’intégralité dans des filières de traitement des déchets appropriées.

Des déchets dangereux sont-ils encore présents sous terre ? C’est la question que se pose légitimement la DREAL. Des bombes aérosols et déchets amiantés pourraient avoir été ensevelis au-dessus d’une roche particulièrement poreuse ne permettant pas la filtration des polluants. La nappe phréatique risquerait ainsi être atteinte en cas de ruissellement des eaux pluviales.

Depuis, à la demande de la DREAL, la maire de la commune Nathalie Blanc a mandaté une entreprise pour procéder à des carottages du sol, aux endroits où des déchets ont été enfouis. Celle-ci devrait intervenir en février, avant d’envoyer la terre en laboratoire, où plusieurs composés chimiques seront recherchés. Les résultats permettront de déterminer les éventuelles mesures protectrices à mettre en oeuvre lors de l’évacuation des déchets, en fonction de leur niveau de dangerosité.

Jean-Marie Thiébaut clame son innocence

Contacté par SOS Pays de l’Apance, Jean-Marie Thiébaut conteste la version des faits alléguée par le parquet, la DREAL et la commune. Selon lui, l’ensemble des fautes commises seraient imputables à la DREAL ainsi qu’à la société Bongarzone.

“C’est Bongarzone qui exploitait la carrière, c’est elle qui est responsable. Et c’est la DREAL qui aurait dû gérer la décharge, pas moi” dit-il. [Ndlr. La société Bongarzone n’exploitait pourtant plus la carrière, propriété de la commune, au moment des faits.] “Tout ça c’est de la faute de bobos parisiens qui sont venus foutre la merde dans la commune” ajoute-t-il, sans préciser toutefois qui il incrimine.

Selon lui, l’ensemble des arrêtés préfectoraux auraient été respectés à temps, et il ne s’explique pas la raison pour laquelle le préfet a prélevé des astreintes à la commune. “Tous les arrêtés ont été respectés, et j’ai fait évacuer en déchèterie les déchets qui étaient présents dans la carrière. D’ailleurs, il n’y avait pas 500 m3 mais seulement 90 m3.”

Quant aux déchets amiantés, il prétend les avoir apportés à la déchèterie de Bourbonne-les-Bains. “Je n’ai aucun document pour le prouver” répond-il, tout en assurant qu’il avait suffisamment clos la décharge, jusqu’à ce que des visiteurs dégradent le cadenas de sa clôture.

Il reconnaît par ailleurs avoir autorisé la société Martel a déposer des déchets sur le site de l’ancienne carrière : “Cela permettait d’avancer plus vite dans le chantier de l’assainissement, dont provenaient les déchets”.

A ce jour, Jean-Marie Thiébaut est présumé innocent.

Nous ferons dès que possible des points sur cette affaire, sur notre site web ou sur notre page Facebook.


Pour consulter nos sources :

1) Rapport d’inspection de la DREAL en date du 23 mai 2019 ;

2) Planches photographiques de l’inspection du 29 mai 2019 ;

3) Rapport d’inspection de la DREAL en date du 20 juillet 2020 ;

4) Planches photographiques de l’inspection du 20 juillet 2020 ;

5) Rapport d’inspection de la DREAL en date du 9 février 2021.